Road trips
J’ai toujours aimé conduire. Encore aujourd’hui, où la voiture est parfois un fardeau tant les villes lui sont hostiles, j’adore conduire. Les moments que je passe matin et soir dans mon petit habitacle sont pour moi une bulle de réflexion ou un sas de décompression, c’est selon. Je parle tout haut, je répète des conférences, des formations à voix haute, je chante à tue tête sur la radio ou a cappella, je téléphone et j’ai des conversations ultra philosophiques avec mes copines… Je me parle à moi-même ou à ma mère, je pleure, je jure, je rie et je klaxonne pas mal aussi… En vacances, ce que je préfère, ce sont les “road trips” comme ceux que j’ai eu la chance de faire dans l’Ouest Américain…
Je ne sais pas si j’aime conduire parce que ma mère m’a appris à conduire et m’a transmis le goût de la route… ou si c’est parce que la voiture représente pour moi le dernier espace de liberté qu’il nous reste en ce monde. Prendre sa voiture, écouter la musique à fond, ou conduire en silence… aller où l’on veut, quand on veut – jour, nuit – prendre les chemins de traverse ou aller au plus court. Etre prête à se dérouter pour un chemin qu’on n’a encore jamais pris. Il n’y a pas (encore) de loi pour nous priver de cette liberté.
Avant de savoir conduire ma mère m’emmenait partout avec elle, en voiture. Cette autonomie était si précieuse à ses yeux qu’elle me répétait souvent “une femme qui ne sait pas conduire est une femme qui a les jambes dans le plâtre”. Je comprends aisément l’importance que la voiture avait pour elle, femme au foyer hyperactive en banlieue parisienne.
Pendant nos vacances dans la Nièvre, où nous avions une très belle maison de campagne que mes parents retapaient, nous nous embarquions chaque jour dans nos “expéditions automobiles”. Maman avait toujours une course à faire : aller chercher le pain à Billy Chevannes, au magasin de loisirs créatifs à Nevers, au supermarché à La Machine… dans la Nièvre tout est loin et la voiture est indispensable.
Nous sillonnions les routes de France et de Navarre au volants de nos différentes voitures pourries :) La Renault 21 Nevada, le break ingarable sur lequel j’ai appris à conduire et qui m’a rendue imbattable en créneaux, ou notre utilitaire Toyota que mon père avait acheté pour transporter des matériaux, aux suspensions douteuses et que j’ai bien failli encastrer dans le portail à mes débuts en conduite.
L’été nous partions sur les routes de campagne à travers champs, dans la chaleur étouffante des habitacles sans clim. En route pour une destination précise au départ, nous croisions un panneau intriguant, un nom de lieu dit bizarre ou le signalement d’un monument historique et hop ! nous nous détournions allègrement de notre itinéraire initial. C’était devenu un code, un secret, un mode opératoire. En tous cas quelque chose que nous partagions intensément maman et moi. Quelque chose de poétique, de mystérieux, d’aventureux. Oui nous vivions des aventures, des micro-voyages qui sont pour moi aujourd’hui des épopées.
Car il y avait plus que le simple détour : parfois nous étions perdues et heureuses de l’être, délicieuse impression conjuguée à la liberté de temps et de mouvement. C’était avant les GPS et les smartphones, avant qu’on n’ait plus le loisir de se perdre… le temps béni de l’auto-détermination.
Quand maman m’a appris à conduire, j’ai tout de suite su que j’aimais la route autant qu’elle. Et que conduire était une façon de s’émanciper bien sûr mais surtout de s’accomplir.
Après avoir obtenu mon permis c’est souvent moi qui nous conduisait sur les routes de la Nièvre. Et lorsque je nous perdais sur les chemins vicinaux je voyais tout le plaisir que ma mère prenait dans l’aventure, bien sûr, mais sans doute aussi, peut-être, dans la joie d’avoir transmis le goût de l’indépendance à sa fille. Mais même avec le permis en poche et l’envie de tailler la route, je dois dire que je préférais quand elle conduisait de sa conduite souple et nerveuse à la fois. Parce qu’il y avait aussi la conversation…
Aujourd’hui je donnerais beaucoup pour faire un bout de route avec elle sur les chemins de Bretagne.
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