A l’ouest du nouveau

1er février 2015, il s’est écoulé 18 mois depuis mon dernier post ici. En 18 mois les enfants ont pris quelques centimètres, sauté une classe (pour Léo), grandi trop vite (pour Noa) et j’ai désormais les cheveux parsemés ici et là de fils blancs qui sont trop nombreux pour être simplement arrachés.

En 18 mois, j’ai consolidé la Cantine, agrandi le cercle communautaire (84 communautés du numérique ont traversé nos murs), signé de nouveaux partenariats, monté le premier accélérateur de startups breton et fini de recruter la dream team parfaite : créative, autonome, agile, rigoureuse, disruptive et drôle. Pour moi un pur bonheur de vivre/travailler avec eux… A nous 4 nous avons construit un objet utile et curieux, avec un bout de business model pas totalement perfusé d’argent public, et qui fédère les bonnes énergies de toutes parts (entreprises, étudiants, particuliers, assos, geeks, etc). Nous avons propulsé Rennes sous les projecteurs de la French Tech, obtenu pour le territoire le label tant espéré et décroché la timbale : la Cantine opérera désormais le label French Tech Rennes. Au passage, elle déménagera mi 2015 dans un bâtiment qui fait 10 fois sa superficie actuelle.

Mais j’ai un épineux problème : je ne reconnais plus la Cantine. Depuis le 12 novembre 2014 (date de l’obtention du label French Tech), elle est devenue un objet de convoitise politique qui cristallise rivalités de clans, jeux de pouvoir, défiance des accélérateurs privés, conflits d’intérêts personnels et amalgames en tous genres. En clair : tout le monde veut être sur la photo. Bien sûr j’ai connu cette phase au démarrage du projet en 2010, mais les enjeux étaient moindres. Nous étions seuls, dotés d’une petite subvention dont la moitié nous était retirée en loyer et charges, personne ne savait ce qu’était le coworking (maintenant non plus d’ailleurs :)) et nous avons, en 4 ans, dé-sclérosé le territoire, changé le status quo en douceur, avec les méthodes de conduite du changement qui me sont chères. Les maîtres mots qui nous ont guidé : ouverture, écoute, disponibilité & accessibilité, découverte, co-élaboration et co-création, et bien sûr sérendipité. Derrière tout ça, l’abnégation de 4 personnes qui aiment tout simplement les gens.

Mais aujourd’hui, il n’y a plus de conduite du changement possible. Plus de co-élaboration non plus d’ailleurs. L’ouverture ? Des tête-à-têtes entre élus dans les bureaux de Rennes Métropole. La sérendipité ? Trop dangereux et imprévisible, à la trappe. D’autres on décidé qu’on ne bâtirait cette suite ni avec les mêmes méthodes effectuales ni avec les mêmes personnes, ni en s’appuyant sur ses fondations. On repart d’une page blanche. Et moi j’ai horreur qu’on jette mon travail à la poubelle, surtout quand j’en suis particulièrement fière.

Alors nous partons. Mélo a donné le coup d’envoi involontairement en nous quittant fin août pour un nouveau projet personnel. Elle n’a jamais été remplacée. “Mais tu peux prendre des stagiaires” m’a-t-on dit. Mais bien sûr, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Et pourquoi d’ailleurs ne prendrait-on pas que des stagiaires ? Après tout, puisque tout ici est toujours question de coût et jamais de valeur.

Le départ de Mélo a été pour moi le révélateur : c’est tout le cas qu’on fait du travail de cette équipe. D’autres signaux faibles, comme on dit, sont venus alimenter le doute. Comme cette gestion catastrophique du “Délégué général”. On aime beaucoup ce que je fais, mais je suis priée de ne pas être intéressée par le poste car on compte bien me parachuter un type (oui, évidemment ce sera un homme) qui va arriver en sauveur et qui sera, accessoirement, mon supérieur hiérarchique. Il fera de la coordination, et moi je resterai à l’opérationnel (pratique d’ailleurs de ne pas faire évoluer mon poste, ça permet de ne pas faire évoluer ma rémunération non plus). En clair : il se fait dicter ses décisions de comités de pilotage en réunions stratégiques, et moi j’exécute le plan. Au passage, exit la consultation terrain, les communautés informelles et l’innovation bottom-up.

Pas une fois on a consulté l’équipe sur la marche à suivre. Désagréable impression qu’on nous prend pour des hippies qui ont réussi leur coup un peu par hasard. Maintenant on va remettre du process et de la méthode. Tout doit être planifié et codifié aussi d’ailleurs, à grand renfort d’acronymes et de “nouveaux organes” de pilotage. La Cantine compte désormais plus de présidents que de salariés. Je n’arrive pas à en sourire.

Alors voilà il est temps de tourner la page tant que je suis encore fière de ce que j’ai bâti. La suite, c’est à moi de l’inventer.


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