Lâcher prise
Parmi tous les sujets de développement personnel sur lesquels je travaille, il y a le lâcher prise. Un sujet particulièrement difficile pour moi qui aime être dans le contrôle. Le contrôle des autres mais aussi et surtout de moi-même.
On ne va pas se renier à 45 ans. J’aime diriger les choses, faire mes choix, être consciente et engagée dans ces choix, responsable d’eux à 100%. Je ne crois pas avoir dit une seule fois dans ma vie “faites comme vous voulez je m’en fous”. J’ai pu dire “faites comme vous voulez” mais seulement après avoir pris la décision éclairée de laisser faire. La nuance est subtile, je sais.
Pour moi le contrôle est associé à l’anticipation (réfléchir à ce que l’on fait et le faire le mieux possible en imaginant toutes les conséquences de ses actes), à la rigueur (faire les choses à 100%, de pas faire les choses à moitié), à la perfection (les faire du mieux possible, pas du mieux que l’on peut… donc s’améliorer à chaque fois) et à la responsabilité. Diriger c’est prendre toute la responsabilité.
J’aime à penser que c’est moi – et personne d’autre – qui décide de mes choix, de ma vie, du prochain pas que je fais. Et j’aime aussi l’inconnu, le changement (je déteste faire deux fois la même chose, j’adore découvrir de nouvelles façons de faire), les surprises, l’imprévisibilité… Je tiens sans doute ça de ma mère qui aimait prendre les chemins de traverse, se perdre sur les routes, suivre ses intuitions… Je vous le dis, l’être humain est complexe :) Je dirais simplement que j’aime choisir les moments où je ne suis plus dans le contrôle et où je suis en roue libre.
Mais il est des situations où le contrôle ne sert plus à rien car la solution ne dépend pas de nous, n’est plus entre nos mains. Ce n’est plus une question d’effort ou d’engagement, c’est juste qu’il est des entreprises vaines. Et il faut savoir les reconnaître. Telle la mouche qui se heurte au carreau pendant des heures, je livre encore beaucoup trop de batailles inutiles et vaines, et je m’épuise.
La première fois que j’ai été confrontée au lâcher prise, c’est à la mort de ma mère. Plus précisément le jour de son enterrement, car avant ce jour je m’étais attelée à développer une saine colère : déni et refus de la mort, rage contre le corps médical, contre mes proches, contre moi-même… ça me faisait vivre de gérer le truc comme ça. Mais ce 21 décembre 2001, il faisait un froid à fendre la pierre, et au cimetière j’étais dans un état second, déconnectée, drapée dans mon chagrin. Ce jour là j’ai d’abord perdu le contrôle de mes pieds (que je ne sentais plus à cause du froid) et le reste a suivi. Je suis restée de longues semaines en “mode automatique”, cet état de survie où l’essentiel est de préserver ses fonctions vitales physiologiques quand tout le reste est en pause. Pour la première fois de ma vie, mon cerveau était à l’arrêt. En mode “A quoi bon ?” (“à quoi bon s’énerver puisqu’on va tous mourir” aurait pu résumer la plupart de mes “pensées”).
Je n’ai pas aimé ce lâcher prise là. Même si je sais, rétrospectivement, que mon corps en a eu besoin pour survivre. Ça c’était le lâcher prise subi.
Il y a une autre forme de lâcher prise, plus délibérée, qui consiste non pas à renoncer mais à accepter de perdre le contrôle de quelque chose de vain ou stérile pour attraper autre chose de plus prometteur. Une sorte de détachement temporaire qui permet de regarder la situation sous un autre angle. Lorsqu’on réalise qu’on ne peut changer ni les événements ni les autres et qu’on peut seulement changer notre façon de les percevoir alors on est dans le lâcher prise.
Il n’est pas anodin que ma première expérience de lâcher prise ait été la mort de ma mère. Lâcher prise c’est bien faire le deuil de quelque chose pour continuer d’avancer : quelque chose qui ne reviendra pas ou faire le deuil d’une croyance, de la perfection, d’une règle (je dois, il faut…), du passé qu’on ne peut pas changer, etc. Et l’objectif est bien celui là : avancer.
Après l’image de la mouche, qui va mourir en s’épuisant à essayer de traverser la vitre, prenons une autre image : celle du singe qui saute de liane en liane. Pour avancer, il doit accepter de lâcher la liane qu’il tient pour saisir la prochaine. Il y a entre les 2 prises un bref instant de lâcher prise qui l’expose au risque de tomber. Je suis comme ce singe : pour avancer je dois lâcher ce que j’ai pour attraper ce qui va m’emmener plus loin.
En filigrane on comprend alors que lâcher prise est avant tout une question de confiance en soi. Mais ça c’est un autre sujet sur lequel je travaille et qui fera l’objet d’un autre billet :)
Alors sur quoi ai-je réussi à lâcher prise ? Je vois deux exemples récents (je ne peux pas encore dire que je suis fière de mes lâcher prise car il me faudra encore du temps pour accepter que la vie emporte ces choses sur des rails sur lesquels je n’ai pas de prise) :
1. J’ai arrêté de me torturer jour et nuit sur les élections présidentielles. J’ai voté, mon candidat a perdu au 1er tour et habituellement j’aurais ruminé des jours et des jours sur l’injustice, la bêtise humaine, les affaires, l’abstention, les médias, etc. Or nous sommes plusieurs millions à écrire le reste de l’histoire, tout n’est donc plus entre mes mains. J’ai coupé tout ce qui parle de politique en attendant le 7 mai et je focalise mon énergie sur ce que je peux changer : mon bulletin et ce que je vais faire dans ce monde pour que mes enfants aient une meilleure vie que moi. J’ai un but plus noble vers lequel avancer.
2. C’est l’année où Noa doit choisir en quelle classe de première elle veut aller. J’étais arc-boutée sur la 1ère S (aussi parce qu’elle a les résultats qui vont avec), elle veut faire une 1ère ES… Après réflexion et discussion, je lui ai dit qu’elle aurait le “Final Cut” comme on dit, pourvu qu’elle prenne une décision éclairée et motivée. Je dois lui faire confiance sur ce coup là. Ce n’est pas un abandon de ma part mais je ne suis plus décisionnaire, je suis accompagnante : elle doit savoir que je la soutiendrai quel que soit son choix.
Ca vous parait peut-être insignifiant, pour moi c’est énorme. Tenir bon sur ces 2 lâcher-prise (oxymore ?) c’est déjà très difficile :)
Einstein disait “La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.” Il me reste à lâcher prise sur beaucoup d’autres choses. J’ai compris que l’enjeu est de taille : vivre pleinement et sans entrave chaque jour qui vient, sans s’épuiser en vains combats. Pour quelqu’un comme moi qui a une perception aiguë du temps qui passe (et qui devient le temps qu’il reste), c’est vital.
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